L'enfant de Roumanie, mon intense et grand voyage
J'avais envie de vous livrer ce texte, écrit à mon retour.
Nous sommes partis de Rennes un matin d’avril 2008. Il était à peine sept heures. Nous sommes arrivés à Sibiu en Roumanie le surlendemain à une heure du matin.
Il y avait deux camions, nous étions trois par véhicule et nous avons conduit sans discontinuer, en nous relayant régulièrement.
Les véhicules étaient chargés de cartons et de colis destinés aux enfants des Casa de Copii (maisons d’enfants) que l’association parrainait. L’un de nous conduisait, le second veillait et le troisième tentait de dormir allongé à l’arrière, sur les colis.
Nous avons traversé l’Europe par les autoroutes avec pour seules haltes les aires de repos quand il était nécessaire de refaire le plein de carburant. La nuit, il y avait tant de poids-lourds arrêtés sur ces aires que les véhicules se stationnaient sur les pistes de décélération.
Quand nous avons passé la frontière pour entrer en Roumanie nous avons immédiatement découvert à quel point les routes étaient en mauvais état et les conditions de circulation épouvantables. Des files de voitures arrivaient toujours face à nous, se rabattant au dernier moment et imposant de conduire en permanence si serrés à droite que le risque de se retrouver dans les accotements était permanent. Une conduite en trois voies sur des routes à deux voies. Sous la pluie. Et avec la fatigue de ces dizaines d’heures de voyage.
Je ne connaissais pas les autres participants au voyage. Tous membres d’une même association, nous nous étions inscrits pour assurer le trajet de printemps vers la Roumanie et apporter les colis réalisés par les parrains des enfants des Casa de Copii. Nous avons partagé nos existences pendant dix jours, occupant le même logement, partageant les mêmes visites et les mêmes repas. Et nous avons refait le monde toutes les nuits.
J’adhérais à l’association depuis sa création, en 1990, juste après les événements qui avaient secoué l’Europe de l’est et après la chute de Ceaucescu. Le monde entier venait de découvrir le sort de tous ces enfants entassés dans des conditions épouvantables dans les orphelinats. J’avais reçu la photo d’un petit garçon de 5 ans, le crâne chauve et seulement vêtu d’un maillot de corps. Photographié dehors, assis sur une chaise et tenant dans ses mains une feuille avec son nom et sa date de naissance. Il souriait.
Il est devenu notre filleul et pendant plus de vingt ans nous lui avons envoyé courriers, photos et colis via les convois de l’association. Ce voyage vers la Roumanie allait me permettre de rencontrer ce petit garçon devenu grand. Pour la première fois. Après 18 ans. Ce serait nécessairement un grand et émouvant moment.
L’enfant n’était plus hébergé en Casa De Copii car comme bien d’autres il était devenu majeur et avait rejoint une sorte de foyer d’hébergement. Mais les enfants étaient toujours informés de l’arrivée des convois et venaient à notre rencontre dans les orphelinats où ils avaient grandi. En raison du programme de notre voyage et des établissements à visiter, je ne pouvais rencontrer mon filleul que trois jours après notre arrivée. C’était frustrant mais c’était ainsi.
Nous avons rencontré des dizaines d’enfants. Bien souvent leur visage ne me semblait pas inconnu : nous avions visionné tant de photos à chaque retour de convoi que nous avions un peu l’impression de les avoir vus grandir. Ils étaient tous très attachants, ils recherchaient notre présence et voulaient des nouvelles de leur famille française, savoir si nous les connaissions.
Les journées étaient chargées en émotions et découvertes. Nous rentrions tard le soir dans le village où nous résidions et repartions tôt le matin. Des paysans aux tenues colorées et aux outils rudimentaires travaillaient déjà dans les champs. Le long de la route des gens de tout âge faisaient du stop. Ils étaient parfois si nombreux au même endroit qu’on imaginait un groupe attendant le bus.
Nos véhicules étaient maintenant moins chargés et il nous arrivait de prendre des auto-stoppeurs. Ils s’installaient debout à l’arrière du camion. Nous venions de nous arrêter pour laisser monter quelques personnes, un groupe de jeunes. A peine le temps de se retourner pour les saluer et nous sommes repartis.
J’ai eu un doute.
Je me suis retournée à nouveau. Nos regards se sont croisés et nous nous sommes reconnus. Grâce à toutes ces photos échangées au fil des ans, nous nous sommes immédiatement reconnus. L’enfant- le jeune homme- était bien là, juste derrière moi monté par hasard dans notre camion ! Seules nos mains pouvaient se toucher, et nous avons juste prononcé nos prénoms.
Ce fut un instant d’une intensité incommensurable. C’est ainsi que nous nous nous sommes rencontrés, après 18 ans de colis et de courriers. Je venais de faire 3000 km pour le voir et je l’ai retrouvé par hasard sur le bord d’une route.
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